Bulletin n. 1/2005
December 2005
CONTENTS
  • Section A) The theory and practise of the federal states and multi-level systems of government
  • Section B) Global governance and international organizations
  • Section C) Regional integration processes
  • Section D) Federalism as a political idea
  • Bailly Olivier, Sephiha Michaël
    Cloisonnement identitaire entre Flamands et Wallons - La crise belge vue de Wanze et de Kruibeke
    in Monde Diplomatique (Le) , juin 2005 ,  2005 ,  16 - 17
    La Belgique célèbre dans une ambiance délétère ses 175 ans d’existence et ses 25 ans de fédéralisme. La position autonomiste des partis flamands et les querelles communautaires nourrissent ceux qui pensent que « l’Etat Belgique » ne fêtera pas son 200e anniversaire. Flandre et Wallonie s’engageraient-elles chaque jour un peu plus dans des chemins séparés, voire opposés ? Visite de deux villes, Wanze la wallonne et Kruibeke la flamande. Bien connue pour ses surréalistes, la Belgique pratique ce courant artistique au quotidien. Un des axes routiers principaux du pays, l’autoroute E40, flirte avec la frontière linguistique qui sépare la Flandre et la Wallonie. Puisqu’elle est massivement empruntée par les deux communautés, le bilinguisme devrait y être de mise. Ce n’est pas le cas. Les affiches de campagne de sécurité routière sont tantôt en néerlandais, tantôt en français, selon la région où elles sont implantées. Le long de l’E40, la ville flamande « Tienen » devient « Tirlemont » en région wallonne et la ville wallonne « Waremme » sera indiquée sous le nom de « Borgworm » en région flamande. Déconcerté par ces noms changeant tous les 15 kilomètres, l’automobiliste non averti quittant l’autoroute pour trouver un réconfort sur les routes régionales devra savoir de quel côté il se trouve. Si le 70 km/h est de mise sur les routes régionales flamandes, les Wallons accordent un supplément de 20 km/h pour le même type de voie. Etrange ? L’histoire de la Belgique et son train fédéraliste empruntent aussi une voie rapide... Depuis 1993, la Belgique est un Etat fédéral composé de trois régions et trois communautés linguistiques (1). Cette structure est le résultat d’une avancée régulière de la décentralisation depuis 1970 (lire L’union fédérale fait la force). La dynamique a été poussée très loin puisque, fait exceptionnel, les entités fédérées ont même le pouvoir de signer des traités internationaux dans les matières liées à leurs compétences institutionnelles. Mais cela ne semble pas encore suffisant. Un nombre croissant de responsables politiques flamands réclament plus d’autonomie, voire pour les plus extrêmes l’indépendance. Pendant longtemps, les appels au séparatisme émanaient seulement de Flandre mais, depuis peu, les Wallons brandissent le spectre de la séparation. « Les Francophones en ont marre d’être continuellement présentés comme des profiteurs qui empêchent une gestion efficace du pays. Nous avons l’impression de ne plus être acceptés complètement (...). Si une majorité de Flamands veut vivre sans les Francophones, nous devons également nous demander si cela a du sens de vivre ensemble », explique Béatrice Delvaux, la rédactrice en chef du quotidien francophone Le Soir (2). Chez certains responsables politiques francophones, le même état d’esprit règne. M. Jean-Claude Van Cauwenberghe, le ministre-président wallon (Parti socialiste [PS]), déclarait ainsi début mai que « la Wallonie n’est pas prête à accepter n’importe quoi, ni à défendre la Belgique à n’importe quel prix (3) ». L’hebdomadaire francophone Le Vif/L’Express, s’engage encore plus : dans un dossier intitulé « Et si les Flamands nous larguaient ? », il estime que, « le jour venu, Francophones et Flamands devront sans doute se partager les oripeaux de l’ancienne Belgique ». Tous les états-majors politiques planchent sur les scénarios d’un avenir sans Belgique. Et, à feuilleter la presse, le pays ressemble à un baril de poudre au cœur de l’Europe. La réalité est pourtant tout autre. Mardi 22 mars, Grand-Place de Wanze (4), en Wallonie. Sous le regard de leurs parents, des enfants profitent de la place aménagée en aire de jeux tandis que les plus grands s’essayent au skateboard, au VTT ou à la drague. La voix des Cassandre ne semble pas parvenir jusqu’ici. A vol d’oiseau, pourtant, la Flandre n’est qu’à 25 kilomètres. « La tension entre les deux communautés n’est pas présente. Il y a un respect citoyen mutuel, assure M. Claude Parmentier, bourgmestre (maire) PS de Wanze. S’il y a une échéance électorale ou un sondage, il se peut que je sois interpellé au sujet de l’extrême droite, mais pas sur les Flamands. Je ne sens pas de rejet des Flamands. Je suis persuadé que les gens ne se préoccupent pas des problèmes communautaires. » Installés sur un banc, Bastien et Robert, 15 ans chacun, profitent des rayons du soleil. La Flandre, ils ne connaissent pas vraiment. Robert passe ses vacances à la Côte belge – « la Côte flamande », diront les Flamingants... –, mais leurs contacts avec la population locale y sont inexistants. Pour tout dire, les deux amis ne sont pas très au fait de la Belgique, de son histoire, de ses mœurs politiques, de sa culture, de ses artistes. Ils n’en sont pas moins opposés à l’éclatement de leur pays. « La Belgique n’est déjà pas très grande, si on se sépare, on va devenir minuscules », rigole Robert. Plus sérieusement, Bastien craint que, « si on coupe le pays en deux, il y ait peut-être des conflits... ». Ce sentiment est largement répandu dans la population belge. Selon un sondage, réalisé en mars 2005 par le quotidien La Libre Belgique, 87 % des personnes interrogées désirent une Belgique unie, le pourcentage étant à peu près identique à Bruxelles, en Wallonie et en Flandre (5). Mais, au-delà de cette question générique, des divergences sur le « comment vivre ensemble ? » apparaissent, une majorité de Flamands réclamant plus de compétences au niveau régional. Mais rien là d’une revendication séparatiste. « Les Flamands ne sont pas pour l’indépendance de la Flandre, même si les mentalités entre le nord et le sud du pays sont différentes », assure Mme Myriam Claes, propriétaire de la seule crèche privée de Kruibeke. Située à quelques dizaines de kilomètres d’Anvers, cette commune flamande est l’équivalent de Wanze, la wallonne (6). Et, en effet, les mentalités paraissent différentes... Là où Wanze, avec son collège communal (conseil municipal) entièrement socialiste, illustre la puissance du PS en Wallonie, Kruibeke la Flamande confirme l’image catholique du nord de la Belgique. Alors qu’à Wanze l’église est nettement séparée de la place communale, à Kruibeke elle trône au milieu du village. Pendant l’agonie très médiatisée du pape Jean Paul II, la mairie de Kruibeke arborait les drapeaux de la ville et de la Flandre ; mais, devant la maison du bourgmestre, c’est le drapeau du Vatican qui était en berne... L’église est entourée par la mutualité chrétienne, le syndicat chrétien, la maison communale (mairie) et le presbytère. Bien en vue, là aussi, le drapeau du Vatican. Pour parfaire l’osmose entre la commune et son église, les annonces des permis de bâtir s’apposent sur les panneaux d’affichage de l’édifice religieux. « Mais peu de gens vont à l’église », regrette M. Antoine Denert, bourgmestre de la commune depuis 1983. « Je n’ai rien personnellement contre les Wallons, poursuit ce chrétien convaincu, qui se définit comme flamingant et nationaliste flamand. Quand je reçois des collègues wallons en visite, je sors un drapeau wallon. Ce n’est pas en Wallonie qu’on verrait ça. Mais moi, je suis un extrémiste en tolérance », se plaît-il à répéter. Pourtant, le bourgmestre de Kruibeke reprend volontiers le slogan du parti d’extrême droite, le Vlaams Belang (7) : « Eigen Volk Eerst » (Notre propre peuple d’abord). « Je n’ai pas de problème avec cela. Il faut d’abord être fort avant d’aider les autres. La Wallonie a une autre mentalité et une autre culture. Les Wallons approchent les problèmes différemment et fixent d’autres priorités. Au niveau de la gestion, par exemple, nous sommes plus rigoureux en Flandre. » A l’évidence, il ne verrait pas d’un mauvais œil l’indépendance de « sa » Flandre. A Wanze, M. Parmentier met également en avant son identité, wallonne, mais il défend l’unité de la Belgique. « Je suis pour un fédéralisme bien compris, qui respecte les conceptions, les cultures différentes. Mais le séparatisme est une mauvaise idée. » Pourtant, dans la brochure qu’il remet aux Wanzois fraîchement installés dans sa commune, la ville est décrite comme s’inscrivant « au cœur de la région de Liège, de la Wallonie et de l’Europe ». Entre la Wallonie et l’Europe, n’existerait-il donc plus d’espace politique intermédiaire ? « Sire, il n’y a pas de Belges » L’oubli de ce dépliant communal ne traduit pas une volonté de nier la Belgique, mais il révèle le peu d’attachement à l’identité belge. Si, en Flandre comme en Wallonie, on connaît son village, la ville voisine, sa province, voire sa région, la méconnaissance de l’autre Communauté est de plus en plus flagrante. Kevin, 16 ans, et Christophe, 15 ans, suivent des cours à l’Athénée royal de Beveren, la première grande ville à proximité de Kruibeke. Ils ne connaissent pas un chanteur belge francophone, n’ont pas d’amis ou de connaissances en Wallonie, n’y vont jamais ou rarement de leur propre initiative. Pieter, 15 ans, va de temps en temps rendre visite à sa famille à Virton (Ardennes). Sur place, il doit souvent utiliser l’anglais avec les habitants du cru, « sinon les gens ne se comprennent pas ». Enfin, Annelies, 18 ans, déclare aller de temps en temps en Wallonie, dans une bourgade, qu’elle situe près de... Marseille ! Malgré ces lacunes dans la connaissance de la Wallonie et des Wallons, pas un de ces jeunes ne tombe dans la haine de l’autre. S’ils s’accordent à reconnaître, voire à souligner des singularités aux deux peuples, les Wallons ne seraient pour autant ni « paresseux » ni « profiteurs » – des préjugés encore récemment véhiculés par le parti nationaliste flamand Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), qui s’appuie sur le montant des transferts de la Flandre vers la Wallonie : 5 milliards d’euros par an, essentiellement au niveau de la sécurité sociale. Tous tiennent à ce que la Belgique reste unie. C’en est presque étonnant, car, tout au long de leur scolarité, ils n’apprennent pas grand-chose de leur pays. Directeur de l’Athénée royal de Beveren, M. Flor Van Gheem l’admet aisément. « Le chapitre sur la Belgique n’arrive qu’en terminale. Les élèves ont, alors, des cours sur l’histoire de la Belgique. On y détaille l’histoire de la Flandre et l’évolution du mouvement flamand, mais aussi celle de la Wallonie. Les cours traitent enfin des réformes de l’Etat, des structures étatiques et du fédéralisme. » A Huy, ville proche de Wanze, les élèves sont logés à la même enseigne. A l’Athénée royal, ceux de la classe de terminale de Mme Marie-Henriette Bekaert-Medart trahissent le caractère lapidaire de leurs connaissances sur leur pays. Si les vingt et un élèves connaissent tous La Marseillaise, un seul d’entre eux peut entonner La Brabançonne, l’hymne national de la Belgique... René commente : « On est plus lié à la France, même culturellement. Cela ne m’embête pas, mais c’est dommage qu’il n’y ait pas de véritable identité belge. » S’il est le seul à pouvoir expliquer ce qu’est la « Question royale (8) », ses condisciples savent en revanche – car ils viennent de parcourir ce chapitre de l’histoire belge – que le socialiste wallon Jules Destrée a interpellé le roi, en 1912, en lui disant notamment : « Sire, il n’y a pas de Belges. » Près d’un siècle plus tard, le quotidien flamand De Morgen (9) établit le même constat, commentant un sondage : « Les Flamands et les Wallons ont un avis différent sur à peu près tout : leur position par rapport à l’extrême droite, l’interdiction de fumer dans les cafés, etc. » Dans la classe de Mme Bekaert-Medart, seule une élève se considère comme wallonne. Et les autres ? Des petits rires gênés. « Belges ? Oui, pourquoi pas... » Céline, en tout cas, ne se sent pas concernée par l’histoire belge : « Je n’ai pas réellement le sentiment d’être belge. » Les jeunes élèves wallons préfèrent se plonger dans l’histoire de France ou celle d’Angleterre, plus prestigieuses, plus importantes à leurs yeux. Face à ces puissances européennes, la Belgique reste invisible, à peine murmurée. L’heure n’est plus à l’étude des grands artistes et personnalités belges, mais plutôt au profil bas. Pour les élèves de Huy, la Flandre historique reste une nébuleuse, tandis que la Flandre contemporaine se réduit souvent à la Côte et au zoo d’Anvers. Les prestigieux stylistes d’Anvers, la beauté de Bruges, le renouveau du rock flamand (et aujourd’hui wallon) repasseront. Avouer ne quasi jamais mettre les pieds en Flandre ne les empêche pas d’avoir un avis, forcément orienté, sur leurs voisins. Pour Aurélie, qui a tout de même participé à un voyage linguistique, il y a quatre ans, dans le nord du pays (mais elle ne se rappelle plus où !), « quand on va en Flandre, on a l’impression d’être une bête curieuse ». Alexandre soutient que « le Flamand est droit, plus réglo que le Wallon. Il aime moins faire la fête, mais il est plus respectueux que le Wallon. Il est assidu ». Et d’aborder la question du racisme. « Les chiffres sont là. Il suffit de voir les résultats des élections, le Vlaams Belang a recueilli 25 % aux dernières élections régionales en Flandre. » Les clichés ont la vie dure, note La Libre Belgique (10) en détaillant les résultats d’un des nombreux sondages réalisés à l’occasion du 175e anniversaire du pays : « Les francophones jugent globalement les Flamands égoïstes, orgueilleux, austères, mais aussi courageux, gestionnaires et créatifs. » Paradoxalement, le quotidien constate également que, dans la même enquête, les Flamands s’estiment moins rigoureux et créatifs mais plus négligents que les Francophones... « On aura tout vu ! Avec ces résultats, qui apparaissent tellement à contre-courant des idées reçues, ce sondage confirme une des grandes caractéristiques de la Belgique : le surréalisme. » Ex-correspondant du journal flamand De Standaard en Wallonie, Guido Fonteyn voit dans ces regards croisés les traces de l’histoire propre à chaque région : « La Wallonie est le produit de la grande industrie (mines de charbon, sidérurgie), la Flandre celui d’une tradition catholique et essentiellement agricole, analyse-t-il. Mais ces caractéristiques ont largement changé. Malheureusement, les clichés mettent plus de temps à disparaître. Or, les traits de caractère des Wallons et des Flamands ne sont pas génétiquement établis, ils changent en permanence. » En jouant le rôle d’écran culturel, les problèmes de langue contribuent largement à cette ignorance mutuelle. La Belgique, en communautarisant progressivement l’enseignement, n’a pas profité de la formidable chance qu’elle avait d’élever sa population dans une double culture. Elle a raté le pari du bilinguisme, voire du trilinguisme (11). Pourtant, dans les écoles flamandes, le français est obligatoire comme deuxième langue pendant une grande partie de la scolarité. Mais, en Communauté française, les élèves ont le choix entre le néerlandais, l’anglais et l’allemand. Et, à la fin de leurs études, peu de jeunes gens parlent parfaitement les deux principales langues du pays. Mais est-ce finalement si important quand, à Kruibeke comme à Wanze, il n’est pas nécessaire de maîtriser les deux langues pour trouver un travail ? Est-ce si important quand on vit dans une sorte d’autarcie linguistique ? Guido Fonteyn considère qu’il y a toujours eu deux vies quotidiennes en Belgique, l’une flamande et l’autre wallonne. Directeur du Centre de politique comparée de l’Université catholique francophone de Louvain-la-Neuve (UCL), M. Lieven De Winter nuance : « Il y a plus de différences entre les Flamands et les Hollandais, ou entre les Français et les Wallons, qu’entre les Wallons et les Flamands. Malgré tout, il existe deux systèmes d’enseignement, deux mondes médiatiques parallèles, etc. Entre Francophones et Flamands, on se rencontre très peu, mis à part à Bruxelles, à la Côte et dans les Ardennes wallonnes » (12). Les traces du flamand en Wallonie sont quasi inexistantes en dehors des parcours touristiques les plus importants. Si la ville de Huy propose des dépliants dans cette langue à ses visiteurs du Nord, la seule indication que les Flamands pourront lire dans leur langue au château de Moha, site touristique sur le territoire de Wanze, est qu’il est « défendu d’enlever des pierres sous peine de poursuites judiciaires ». Dans les vestiges du château de Rupelmonde, sur le territoire de Kruibeke, on n’apprendra que le géographe flamand Mercator (Rupelmonde 1512 – Duisbourg 1594) fut emprisonné sur le site uniquement si on sait lire le flamand. Heureusement, une ou deux brochures en français viendront à la rescousse du touriste hexagonal ou wallon qui passerait à l’office du tourisme local... La presse aussi est exclusivement unilingue. « Il n’y a jamais eu de journal bilingue en Belgique, alors que ça a été le cas en Suisse ou au Luxembourg. Le bilinguisme n’a jamais existé en Belgique », observe Guido Fonteyn. Pas de médias bilingues et très peu de lecteurs bilingues. « Il n’y a que 3 % de personnes qui lisent la presse de l’autre communauté », ajoute M. De Winter. Il ne suffit pas de vouloir lire « l’autre » presse, encore faut-il la trouver... A la librairie de Kruibeke, le seul journal francophone disponible sur les rayons est le tabloïd La Dernière Heure/Les Sports. Et encore, seulement le lundi : pour les résultats sportifs. A Wanze, on trouve deux exemplaires du quotidien populaire flamand Het Laatste Nieuws, mais nul ou presque ne les achète. Et, en s’éloignant du centre de la commune, la situation devient absurde. La Librairie de la Presse ne propose pas un seul journal flamand : « J’en ai déjà demandé pourtant, précise son responsable, mais l’éditeur ne voit pas l’intérêt d’en fournir ici... J’ai voulu obtenir des mots croisés en flamand il y a deux ans pour une cliente bilingue. Je les attends toujours. En revanche, j’ai des revues anglaises, américaines, allemandes. Je n’arrive pas à me procurer le journal flamand De Morgen, qui est vendu à 20 kilomètres d’ici, en Flandre. Mais si vous voulez avoir El País, pas de problème, je le commande... » Les chaînes de télévision participent également au cloisonnement identitaire. Dans le nord comme dans le sud du pays, elles ne se penchent souvent sur l’autre communauté et ses représentants qu’en cas de dossier symbolique, anecdotique, ou « national », au risque de céder facilement aux clichés et aux généralités. Lancée en 1989, la chaîne privée flamande VTM a sans conteste contribué à forger un sentiment identitaire puissant, grâce à des programmes axés sur la culture flamande et le phénomène des Bekende Vlamingen (« Flamands connus »), repris depuis par toutes les autres chaînes flamandes. Résultat : on ne regarde quasiment plus les chaînes néerlandaises en Flandre. Réinventer une forme d’identité nationale Dans le sud du pays, en revanche, ce genre de programmes n’a jamais drainé les foules. Les « stars » francophones du petit et du grand écran préfèrent « monter » à Paris. Et la concurrence des chaînes françaises (TF1, France 2, France 3) est particulièrement rude. Régulièrement, elles attirent plus d’un tiers des téléspectateurs francophones belges. Difficile, dans ce cas, de construire une identité locale aussi forte qu’en Flandre. Culturellement, la Belgique est un pays qui a manifestement deux identités. Deux ? Ou sept, ou quinze ? La Flandre et la Wallonie sont-elles si homogènes ? Carolorégiens, Liégeois et Luxembourgeois sont-ils identiques ? Les différences entre le Limbourg et la Flandre occidentale n’existent-elles pas ? Certains évoquent une différence Nord-Sud mais aussi une différence Est-Ouest. Si la solidarité économique et les échanges culturels devaient prendre fin entre Wallons et Flamands, pourquoi les maintenir entre Limbourgeois et Brugeois, entre Montois et Spadois ? Ce n’est pas tant le projet « Belgique » qui cabre les identités que l’absence de projet... Editorialiste du quotidien flamand De Standaard et auteur du livre Le Rêve de la Flandre ou les aléas de l’histoire (13), Marc Reynebeau met en cause ce manque de vision pour le pays : « La Constitution belge ne mentionne nulle part ce que le modèle fédéral poursuit exactement comme objectif. C’est pourquoi la dynamique politique du pays est dominée quasi fatalement par un mouvement de défédéralisation, qui a pour effet que l’Etat central continue à s’évaporer. » « Le fédéralisme belge n’est pas un modèle de cohabitation, mais plutôt de dissociation », enchaîne M. De Winter. Si le pays semble se désagréger, c’est donc plus du fait de la volonté politique d’une partie de ses élites qu’en raison d’une forte divergence entre ses populations. A un tournant de son histoire, la Belgique a peut-être une dernière occasion de réinventer une forme d’identité nationale. Celle-ci ne s’appuierait plus sur la fierté, le drapeau ou la nation, mais sur une nationalité légère, faite de sentiments et de qualités humbles, capable de combiner les différentes identités de ses habitants sans pour autant qu’une d’entre elles ne phagocyte les autres. Lorsqu’on se rend au Hall Omnisport de Wanze, on est accueilli par une affiche apposée sur la porte d’entrée : « Les rollers, vélos et frites sont interdits dans le hall. » Autodérision ou surréalisme au quotidien ? La Belgique existe toujours.
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